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Le bourreau

Vu la faiblesse de mon bras, je n'eusse jamais pu être bourreau. Aucun cou, je ne l'eusse tranché proprement, ni même d'aucune façon. L'arme dans mes mains, eût buté non seulement sur l'obstacle impérial de l'os, mais encore sur les muscles de la région du cou de ces hommes entraînés à l'effort, à la résistance.
Un jour, cependant, se présenta pour mourir un condamné au cou si blanc, si frêle qu'on se rappela ma candidature au poste de bourreau; on conduisit le condamné près de ma porte et on me l'offrit à tuer.
Comme son cou était oblong et délicat, il eût pu être tranché comme une tartine. Je ne manquai pas de m'en rendre compte aussitôt , c'était vraiment tentant. Toutefois, je refusai poliment, tout en remerciant vivement.
Presque aussitôt après, je regrettai mon refus; mais il était trop tard, déjà le bourreau ordinaire lui tranchait la tête. Il la lui trancha communément, ainsi que n'importe quelle tête, suivant l'usage qu'il avait des têtes, inintéressé, sans même voir la différence.
Alors je regrettai, j'eus du dépit et me fis des reproches d'avoir, comme j'avais fait, refusé vite, nerveusement et presque sans m'en rendre compte.

Henri Michaux / PLUME















28/12/2009
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